Colloque 30 Novembre 1 Décembre 2017 - Sciences Po Lyon

 Temporalité(s) politique(s)

Autonomisation et rapport au temps des acteurs publics

 Sciences Po Lyon

30 Novembre, 1e décembre 2017

 

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  La dimension éminemment sociale du temps est immédiatement perçue par les sciences sociales naissantes, refusant de le réduire à un a priori de la nature humaine ou une propriété immanente de l’univers naturel non humain (Sorokin et Merton, 1937). Le temps est dès-lors conçu comme un vécu subjectif et une construction sociale, l’un des cadres de référence élémentaires des phénomènes et des groupes sociaux et, plus récemment, comme un nouvel enjeu politique dans la société des loisirs et de la démultiplication des temporalités. Depuis plusieurs décennies, les sciences sociales redécouvrent la question du temps.

  Les temps du politique, ceux du militant, de l’électeur, de l’élu et de l’acteur public font de même l’objet d’un intérêt renouvelé tout comme ceux du communiquant, ceux des programmes, des cycles électoraux, des politiques publiques, de la socialisation ou encore des régimes politiques… (Commaille, Simoulin et Thoemmes, 2014 ; Marrel et Payre, 2006 ; Muxel, 2016 ; Pierson, 2004 ). Mais les analyses relatives à ces temporalités politiques se déploient dans une grande dispersion et un certain éclectisme quant aux objets et aux démarches. L’ambition de ce colloque est d’offrir un panorama raisonné des diverses et récentes analyses du temps par les sciences sociales du politique, en privilégiant les approches empiriques et contextualisées, attentives à son rôle et à ses usages dans les processus de (dé)politisation (Lagroye, 2003).

  En tentant de comprendre comment s'articulent à chaque époque pour chaque société ou groupe social, les temps physiques, les temps vécus et les temps sociaux d'ordre historique, une part importante des approches anthropologiques et sociologiques explorent des hypothèses macro-historiques stimulantes : la mutation des « régimes de temporalités » (Mercure, 1995) avec le passage d'une modernité centrée sur le travail à une autre plus éclatée, intériorisée, diversifiée et incertaine (Dubar, 2004) ; l’avènement d’un « présentisme » postmoderne (Boutinet, 2004 ; Chesneaux, 1996 ; Hartog, 2003) ; l’accélération et l’emballement des rythmes de vie menaçant la réalisation du projet politique émancipateur de la modernité (Rosa, 2014). La régulation des temps sociaux s’est par ailleurs politisée dans le cadre des débats sur la réduction du temps de travail, avec les implications de la managérialisation des services publics ou encore le développement des bureaux du temps dans les zones urbaines.

  Dans une perspective plus méso-sociologique, il s’agit d’envisager ici l’hypothèse d’une autonomisation des temporalités politiques vis à vis des autres temporalités sociales. Un groupe social se définit par son rapport au temps. Le temps peut être défini comme la relation qu’un « groupe humain établit entre deux ou plusieurs processus dont l’un est normalisé pour servir aux autres de cadre de référence et d’étalon de mesure » (Elias, 1999, p. 15). L’incertain mouvement de spécialisation des acteurs et des activités politiques dans les démocraties modernes se traduirait par l’adoption et l’imposition d’un rapport au temps spécifique. Les temporalités politiques se définiraient par un cadre de référence : l’horizon temporel des mandats électifs.

  La production d’une temporalité spécifique est sans doute l’un des plus précieux indicateurs de la hiérarchisation des tâches et des valeurs au sein d’un groupe social. Les professions et les métiers du politique ont encore peu été interrogés dans ces termes, à la lumière de la singularité des temporalités de l’espace social qu’ils occupent, des usages spécifiques du temps qui se manifestent dans les rapports de domination (être ponctuel, faire attendre, jouer la montre, subir ou imposer son agenda…) (Dulong, 2015), de l’inégale intériorisation des capacités d’anticipation et de l’inégale distribution de la maîtrise du temps (Darmon, 2013), ou encore des rapports genrés au temps en politique (Della Sudda, 2009). Saisir le rapport au temps des acteurs politiques inégalement professionnalisés, dans l’incertitude électorale, comme une dimension constitutive de leur difficile autonomisation est l’un des enjeux majeurs de ce colloque international.

  Il s’agit donc de penser les formes de la construction d’une temporalité politique structurante et les articulations entre la grande variété des rapports aux temps propres à chaque type d’acteurs sociaux dans le monde politique, et ce temps a priori dominant du mandat électoral. Nous souhaitons interroger les hypothétiques spécificités de ce rapport au temps en politique et ses transformations dans différents types d’activité. L’appel à communications propose ainsi d’explorer quatre temporalités politiques renvoyant à quatre dimensions de l’espace politique : 1) les temporalités des mobilisations collectives et des porteurs de cause, 2) celles des programmes, de l’administration et de l’action publique, 3) celle de l’entrepreneuriat politique, de la conquête des suffrages et de l’entretien des soutiens électoraux et enfin 4) les temporalités de l’opinion, de l’espace public et de la communication politique.

 

1.         Les temporalités des mobilisations collectives

  L’ambition de ce premier axe est de réfléchir aux rapports au temps incorporés dans l’action collective et la construction des problèmes publics. En revenant sur le travail politique à l’œuvre dans les mobilisations, les communications pourront par exemple interroger l’intériorisation d’une temporalité électorale et politique par les porteurs de causes, les stratégies d’accélération ou de prolongation des négociations, ou encore les effets de la diffusion de l’information sur les formes de la mobilisation d’une opinion publique discontinue. Il s’agit notamment de relire les travaux classiques traitant de la mise sur agenda et plus largement des cycles de la réforme et de la décision publique, en s’attardant par exemple sur les moments du mandat plus ou moins propices à la fabrication des problèmes publics. 

 2.         Les temporalités de l’action publique

  Quel est le bon moment pour agir ? S’interroger sur le lien entre temporalité de l’action publique et temporalités de l’élection revient en partie à se demander si les échéances électorales influencent le type de politique publique mise en œuvre. A travers les travaux sur l’agenda public, la science politique s’est interrogée sur la notion d’opportunité, confirmant que la temporalité électorale pèse bel et bien sur la conduite de l’action publique. L’entrée par les temporalités et/ou les rapports aux temps permet plus largement de questionner les relations entre les gouvernants élus, leurs entourages, les différents niveaux de l’administration et les électeurs.

 3.         Les temporalités de l’action politique

  Le cadre structurant de l’incertitude électorale pèse sans doute plus directement encore sur l’ensemble des acteurs et des actions en prise avec l’activité partisane, la quête des suffrages, le travail de représentation, la gestion des entourages, la production législative. On interrogera ici les conditions socio-historiques de production et de reproduction d’une temporalité par hypothèse dominante dans le champ politique démocratique : celle délimitée par l’horizon du mandat électif. Les communications pourront explorer les principes de la codification temporelle des mandats (durée, synchronisation, non-rééligibilité…) et partant, la définition des « bonnes cadences » démocratiques et les conditions de la longévité politique. La variété des logiques d’incorporation de cette temporalité électorale par les différents acteurs mobilisés dans l’action politique pourra également être questionnée, de même que les dispositifs concrets du time ou du task management en politiquede la domestication de l’urgence,de l’hyper-activité, de l’ubiquité politique ou encore des frontières entre vie publique et vie privée (boundary work).

 4.         Les temporalités de la communication publique

  L’urgence est-elle le signe de la dictature de l’opinion publique ? Il s’agit ici de saisir l’articulation des temps médiatiques et des temps politiques en observant la spécificité des rapports au temps des professionnels de la communication politique, à l’extérieur (journalistes) et à l’intérieur (communicants) des entreprises politiques. Comment les médias incorporent-ils les rythmes électoraux, tout en imposant leur propre tempo ? Les communications pourront par exemple travailler les effets des mutations technologiques et numériques sur l’accélération de la circulation et de la viralité des informations politiques. Les recherches pourront encore porter sur le timing des mises en scènes de soi, du pouvoir, de la représentation et du gouvernement, et sur les mises en scène du temps politique dans les stratégies de communication publique. 

 

  A partir des travaux produits depuis quelques années sur les temporalités politiques, ce colloque sera l’occasion d’approfondir la compréhension de cette dimension trop souvent naturalisée des formes du gouvernement. En saisissant les temps des politiques comme objets, comme enjeux et comme marqueurs, les communications auront à cœur de renouveler nos questionnements sur les effets de la multiplicité des temps et des rapports aux temps, des rythmes, des cycles, des horizons et de leurs usages dans la mutation des démocraties contemporaines.

 

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  Le comité scientifique privilégiera les propositions de communication intégrant un terrain de recherche, des données et une méthodologie originales. Le colloque s’enrichira de travaux reposant sur des comparaisons dans le temps comme dans l’espace.

 

Informations :

  • Langues des échanges : français et anglais
  • Date limite de soumission des propositions (1500 caractères) : 5 juin 2017

Les propositions devront être soumise sur la plateforme dédiée à la conférence, dans le module de dépôt.

Comité d’organisation :

  • JB. Devaux, doctorant de science politique, Triangle
  • G. Marrel, Maître de conférences de science politique, UAPV-LBNC-CHERPA
  • R. Payre, PR de science politique, Sciences Po Lyon - Triangle

Composition du comité scientifique : 

  • Willy BEAUVALLET, Maitre de conférences en science politique, Université Lumière Lyon II
  • Alistair COLE, Professeur de Science Politique, Sciences Po Lyon
  • Jacques COMMAILLE, Professeur émérite de sociologie, ENS Cachan
  • Delphine DULONG, Maitresse de conférences en science politique, Université Paris 1
  • Laurent GODMER, Maitre de conférences en science politique, Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEMLV)
  • Aisling HEALY, Maitresse de conférences en science politique, Université de Saint-Etienne
  • Remi LEFEBVRE, Professeur de Science Politique, Université Lille 2
  • Caroline OLLIVIER-YANIV, Professeure de Sciences de l’Information et de la Communication, Université Paris Est Créteil
  • Marion PAOLETTI, Maitresse de conférences en science politique, Université de Bordeaux
  • Anne-France TAICLET, Maitresse de conférences en science politique, Université Lumière Lyon II

 

Références :

Boutinet J.-P., 2004, Vers une société des agendas: une mutation de temporalités, Paris, Presses universitaires de France, 260 p.

Chesneaux J., 1996, Habiter le temps: passé, présent, futur. Esquisse d’un dialogue politique, Paris, Bayard éd., 344 p.

Commaille J., Simoulin V., Thoemmes J., 2014, « Les temps de l’action publique entre accélération et hétérogénéité », Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, 19.

Darmon M., 2013, Classes préparatoires: la fabrique d’une jeunesse dominante, la Découverte.

Della Sudda M., 2009, « Temporalités à l’épreuve de la parité », Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, 9.

Dubar C., 2004, « Régimes de temporalités et mutation des temps sociaux », Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, 1, p. 118‑129.

Dulong D., 2015, « La domestication du pouvoir. Etude comparée des agendas de Michel Debré et Georges Pompidou à Matignon », CESSP Working Paper, 1.

Elias N., 1999, Du temps, Paris, Pocket, 253 p.

Gurvitch G., 1963, « La multiplicité des temps sociaux », dans La vocation actuelle de la sociologie, Paris, PUF, p. 325‑430.

Hartog F., 2003, Régimes d’historicité: présentisme et expériences du temps, Paris, Éditions du Seuil, 321 p.

Lagroye, J. (dir.), 2003, La politisation, Paris, Belin, 564 p.

Marrel G., Payre R., 2006, « Temporalités électorales et temporalités décisionnelles. Du rapport au temps des élus à une sociologie des leaderships spatio-temporels », Pôle Sud25, 2, p. 71‑88.

Mercure D., 1995, Les temporalités sociales, Paris, Ed. l’Harmattan, DL 1995, 175 p.

Muxel, A. (dir.), 2016, Temps et politique : Les recompositions de l’identité, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 208 p.

Pierson P., 2004, Politics in time: history, institutions, and social analysis, Princeton, Princeton University Press, 196 p.

Rosa H., 2014, Aliénation et accélération : vers une théorie critique de la modernité tardive, Paris, La Découverte, 153 p.

Sorokin P.A., Merton R.K., 1937, « Social time: A methodological and functional analysis », American Journal of Sociology, p. 615‑629.

Santiso J., 1994, « À la recherche des temporalités de la démocratisation », Revue française de science politique44, 6, p. 1079‑1085

 

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